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LE BON BOUT DE LA RAISON

» — Cela doit se savoir maintenant, me répondit-il avec une grande mélancolie. La chose est arrivée quelques heures seulement avant notre chute dans les catacombes.

» J’examinai encore le papier, pendant cinq minutes, je réfléchis profondément, demandai quelque complément d’instruction et éclatai de rire, bien qu’il n’y eût point à rire, car la catastrophe était vraiment épouvantable. Ce qui me faisait rire c’était la difficulté apparente du problème et aussi la joie de l’avoir, après cinq minutes, résolu.

» — Vous vous croyez raisonnable, m’écriai-je, parce que vous avez une Raison, mais vous êtes comme cent mille, vous ne savez pas vous en servir ! Ah ! ah ! on dit : « La Raison ! » Mais qu’est-ce que la Raison dans un cerveau qui ne sait par où la prendre ? C’est un merveilleux instrument à la portée d’un manchot ! Monsieur Longuet, ne détournez point ainsi la tête d’un air boudeur ; je vous le dis : Vous ne savez par quel bout prendre votre raison ! Voyons, monsieur Longuet, voyons, raisonnez avec ce papier à la main !

» Il essaya, le malheureux. Il dit : « Il y avait cinq hommes en A, cinq hommes en B. Les cinq hommes de B ont vu passer le train ; les cinq hommes de A ne l’ont point vu. Moi, j’étais en K ; je suis sûr qu’il n’est pas passé en K… par conséquent… »

» — Par conséquent ?… Par conséquent, il n’y a plus de train ? Par conséquent, votre train s’est évanoui ? Volatilisé ? Envolé ? Psst ! Train disparaissez ! Vous croyez peut-être que le train est dans la manche de Dieu ! Vous voyez bien, monsieur Longuet, que si vous avez une raison, vous ne savez pas vous en servir ! Permettez-moi de vous dire que vous avez pris votre raison par le mauvais bout ! Le mauvais bout est celui qui