Page:Leroux - La Double Vie de Théophraste Longuet.djvu/262

Cette page a été validée par deux contributeurs.
244
LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

murs avec une sûreté, une aisance, un équilibre de somnambule…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Et maintenant, quel est cet homme qui, le front bas et le dos courbé, les mains dans les poches, erre comme un malheureux dans le vent qui passe, sous la pluie qui tombe, le long, tout le long de la voie ? Il suit la route qui longe la voie du chemin de fer ; c’est une route droite, bordée de petits arbres malingres, plumeaux naturels et chétifs, tristes ornements de la route départementale, le long de la voie du chemin de fer. D’où vient cet homme qui a les mains dans les poches, ou plutôt cette ombre d’homme, cette triste ombre d’homme ? La plaine s’étend à droite et à gauche, sans une ondulation, sans le renflement d’une colline, sans le creux d’une rivière. Il est de toute utilité, pour ce qui va suivre, de se rappeler les détails du paysage. Ces détails, du reste, sont visibles, car ceci n’est point une scène de nuit, mais bien une scène de plein jour. Sur la voie, toute droite, à côté de la route, passent de temps à autre des trains, des trains omnibus, des trains rapides, des trains de marchandises. Pendant qu’ils passent la voie ronfle, puis elle se tait et l’on entend alors, dans le vent, le ting-ting-ting-ting de la sonnette des disques de la petite gare prochaine. Mais quelle petite gare ? Il y en a une en avant ; il y en a une en arrière. Les deux petites gares sont espacées de cinq kilomètres — et encore, il faudrait mesurer. Entre les deux petites gares, il y a la voie droite, la double voie, bien entendu, pour les trains qui montent et pour les trains qui descendent. Ces deux gares sont rejointes donc par un quadruple trait de rails posés sur la plaine. Entre les deux gares, il n’y a aucun travail d’art, aucun viaduc, aucun tunnel, aucun pont, pas même un pas-