Page:Leroux - La Double Vie de Théophraste Longuet.djvu/26

Cette page a été validée par deux contributeurs.
8
LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

— Nous touchions à cet affreux couloir noir où se trouve une grille derrière laquelle on coupait les cheveux des femmes avant de les exécuter. Vous savez que c’est toujours la même grille ?

— Oui, oui, continuez.

— C’est un couloir, monsieur, où jamais ne pénètre un rayon de soleil. Vous savez que Marie-Antoinette, monsieur, a suivi ce couloir le jour de sa mort ?

— Oui, oui, continuez.

— C’est là, monsieur, la vieille Conciergerie dans toute son horreur… Alors, l’homme à l’ombrelle verte me dit : « Parbleu ! c’est l’allée des Pailleux ! »

— Il vous dit cela ? Rappelez-vous ; il vous dit bien : « Parbleu ! »

— Oui, monsieur.

— Ce n’est pas extraordinairement étonnant qu’il vous ait dit : « Parbleu ! c’est l’allée des Pailleux ! »

— Attendez ! Attendez ! Je lui répondis qu’il se trompait, que l’allée des Pailleux devait être cette allée que nous appelons aujourd’hui la rue de Paris. Il me répliqua avec cette même voix étrange : « Parbleu ! vous n’allez pas me l’apprendre ! J’y ai couché sur la paille, comme les autres ! »

» Je lui fis remarquer en souriant, non sans crainte, qu’on n’avait pas couché sur la paille, dans l’allée des Pailleux, depuis plus de deux cents ans.

— Et que vous répondit-il ? fis-je au gardien.

— Il allait me répondre quand sa femme intervint : « Qu’est-ce que tu racontes, Théophraste ? dit-elle. Tu veux apprendre son métier à monsieur et tu n’es jamais venu à la Conciergerie. » Alors il dit, mais avec sa voix naturelle, la voix que je lui connaissais au commencement : « C’est vrai, je ne suis jamais venu à la Conciergerie. »