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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

échaudée, bien épilée. La moustache et les cheveux avaient été rasés comme il faut, les oreilles bien nettoyées, et, pour quelqu’un qui n’eût pas été prévenu, cette tête de boucher eût pu, au besoin, passer pour une tête de veau. À son tour, le petit commis s’évanouit et laissa rouler la tête de M. Houdry. (Ce pauvre M. Houdry, interrompis-je, était un brave homme ! Mais il aimait trop à couper les têtes des veaux avec le saigneur ! Tout ça devait mal finir ! C’est bien triste !…)

» Quelques minutes plus tard, « le drame était découvert ». On juge de l’émotion dans le quartier !… (Il y a de quoi, interrompis-je ; il y a de quoi ! Et maintenant, il faut juger le veau ! Il aura du succès en cour d’assises. C’est un étrange, fantastique, impitoyable et courageux veau !)

» Le journaliste, dit Théophraste, n’était point de cet avis que le veau eût découpé le boucher, et il mettait encore en avant le nom de Cartouche. (Ce pauvre Cartouche !) Je haussai une fois de plus les épaules ; puis, ayant levé les yeux de dessus mon journal, je cherchai en vain dans les deux coins de la salle à manger — où ils s’étaient réfugiés « pour faire l’enfant » — ma femme et M. Lecamus. Ils avaient disparu. Je les appelai avec force, et ils ne me répondirent point. Je fouillai l’appartement, et ne les trouvai point. Je voulus ouvrir la porte du palier, et elle ne s’ouvrit point. Ils m’avaient enfermé, ce qui ne me gêna point. Quand je suis enfermé, je sors par les cheminées si elles sont assez larges et, si elles sont trop étroites, je disparais par les fenêtres. Mais la cheminée de mon salon est une cheminée monumentale comme il ne s’en trouve point deux dans la rue Gérando, et je l’escaladai avec la même facilité que j’avais descendu la cheminée où commençait à chauffer la chaudière de M. Houdry, le matin même,