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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

main de M. Lecamus, mais celui-ci recula encore, tout à fait dans le coin de droite de la salle à manger, quand on entre par le vestibule, et il s’enveloppa dans les rideaux de la fenêtre ; il faisait l’enfant.)

» … Hier, de grand matin, M. Houdry s’enferma dans son abattoir, comme tous les jours, avec son veau. Il s’était fait aider de son petit commis pour attacher le veau sur l’étout, sorte de brancard qui est de toute utilité pour ce genre d’opération ; le veau attaché, le petit commis s’occupa à rincer des barriques dans la cour, devant la double porte de l’abattoir que le boucher tient toujours close.

» Ordinairement, M. Houdry met de vingt à trente minutes pour tuer son veau, le vider, le blanchir (le blanchir, interrompis-je, c’est lui décoller le cuir du ventre), l’habiller pour l’étal. Trente-cinq minutes s’écoulèrent et la double porte de l’abattoir ne se rouvrait pas ; le petit commis, qui avait fini de rincer ses barriques, en marqua tout haut quelque étonnement. Souvent, M. Houdry lui criait de venir échauder la tête, gratter les poils et nettoyer les oreilles. Ce jour-là le patron ne l’appelait pas. Sur ces entrefaites, Mme Houdry, la femme du boucher, se montra sur le seuil de la cour. « Qu’est-ce qu’il fait donc ? dit-elle ; il n’en finit pas aujourd’hui ». — « C’est vrai, madame, il est bien longtemps. » Alors elle appela : « Houdry ! Houdry ! » Pas de réponse ; elle traversa la cour et entr’ouvrit la porte de l’abattoir. Le veau aussitôt s’en échappa et se prit à sauter avec grâce autour d’elle. (Ah ! mon Dieu ! interrompis-je ; ah ! mon Dieu ! je redoute un grand malheur !) Elle regarda d’abord le veau avec émotion, car, à cette heure, le veau devait être mort, puis elle poussa d’un seul coup la double porte et appela encore son mari qui