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LA REVANCHE DU VEAU

fort que lui ! Vous savez bien qu’on n’échappe pas à sa destinée. Moi, je lui disais : « Prenez garde ! ça finira par se savoir chez les veaux ! »

» Je repris ma lecture :

» Ce veau lui était apporté en silence chaque nuit par un sien beau-frère, et comme la petite cour où se trouve son abattoir donne par derrière, sur des terrains vagues, nul ne vit jamais chez M. Houdry un veau vivant.

» D’où venait ce veau vivant ? L’enquête nous l’apprendra bientôt, car M. le commissaire de police Mifroid est bien décidé à pénétrer tout le mystère de cette épouvantable histoire de veau, qui se rattache, hélas ! comme on le verra plus loin, à l’histoire vraiment miraculeuse des hauts méfaits du nouveau Cartouche. (Allons, bon ! interrompis-je, c’est encore Cartouche qui va trinquer dans cette affaire. Pauvre Cartouche !) Si M. Houdry tenait tant à tuer lui-même son veau, c’est qu’il avait sa manière, une manière qui donnait toute sa qualité à la viande de veau. (Oui, interrompis-je, il n’assomme pas, parce que quand on assomme ça marque la tête.) Il coupe la gorge du veau d’un seul coup (il la coupe, interrompis-je, avec le « saigneur »), il énerve la viande… (Au fait, interrompis-je, il faut que je vous explique ce que c’est que « le saigneur », et après avoir remué les couverts dans le tiroir de la desserte, je pris le couteau à découper et leur dis que « le saigneur » — ainsi nommé parce que c’était avec lui que l’on saignait — était au moins deux fois grand comme le couteau à découper ; je le fis passer sur le nez de M. Lecamus en lui imprimant un double mouvement pour leur faire comprendre que c’était là le mouvement à éviter : « On ne doit point revenir dans la blessure » ; même je voulus mettre le couteau dans la