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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

cement dans des trous de nez. Il y a trois trous de nez. À un trou de nez par tête, cela fait trois têtes !… Ils m’ont donc jeté dans une fosse commune !… La lune vient jusqu’à moi : j’ai deux jambes de cadavre au travers du ventre. Je reconnais maintenant ces marches, et cette fosse, et cette lune… Je suis dans le charnier de Montfaucon !… j’ai peur !!!…

» Quand, les jours de ripailles, je montais aux Chopinettes par la rue des Morts, j’ai regardé ce charnier à travers les grilles ; je l’ai regardé avec curiosité, parce que j’y voyais déjà ma charogne ; mais jamais il ne m’était venu à l’idée que lorsqu’une charogne serait là, elle pourrait regarder de l’autre côté des grilles ! Et maintenant, ma charogne voit ! Ils m’ont jeté là parce qu’ils m’ont cru expiré, et je suis enterré vivant avec les corps de pendus ! Mon sort est tout à fait misérable et dépasse tout ce que l’imagination des hommes pourrait inventer. Les plus tristes réflexions viennent m’assaillir, et si je me demande d’abord par quel artifice du sort j’en suis réduit à une pareille extrémité, je me vois obligé de m’avouer que le sort n’est pour rien dans mon affaire, mais bien exclusivement mon orgueil. J’aurais pu continuer tranquillement à être « le chef de tous les voleurs » si j’étais resté vivable. Mais la Belle-Laitière avait raison quand, au cabaret de la « Reine-Margot », elle me disait que je n’étais plus vivable. Je n’admettais plus une observation et, quand je convoquais mon grand conseil, je ne tenais aucun compte des résolutions où il s’était arrêté. Je me plaisais à jouer au potentat et j’avais fini par prendre cette manie de découper en morceaux tous ceux que je soupçonnais. Mes lieutenants couraient plus de danger en me servant qu’en me desservant. Ils m’ont trahi et c’était logique. Le commencement de ma