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OÙ L’ON ESSAIE DE TUER CARTOUCHE

que je ne suis plus vivable… Mais est-ce de ma faute ?… Tout le monde me trahit. Je ne puis coucher deux nuits de suite dans le même endroit… Où donc est-il ce temps où j’avais tout Paris avec moi ? Où donc est-il le jour de mes noces avec Marie-Antoinette Néron, quand, à l’enseigne du Petit Sceau, chez le cabaretier Bigot de la rue du Faubourg-Saint-Antoine, nous chantions tous en chœur sur l’air de


Ton joli, belle meunière, ton joli moulin,


la chanson chère à mon lieutenant Camus :


Pitanchons, faisons riolle jusqu’au jugement !


Nous mangeâmes ce jour-là de la perdrix — on n’en mangeait pas chez le roi — nous bûmes du champagne. Ma belle Marie m’aimait. J’avais là mon oncle et ma tante Tanton, qui vendaient de la chandelle rue de Bretagne. Eh quoi ! Tant de bonheur datait du 15 mai de l’année passée, et maintenant !… maintenant, où est-il mon oncle Tauton ? Enfermé au Châtelet. Et son fils ? J’ai dû le tuer le mois dernier pour qu’il ne me dénonçât pas !… La chose fut vite faite… Un bon coup de pistolet à Montparnasse et son cadavre sous un tas de fumier… J’étais sûr de son silence… Mais combien à tuer encore ?… Combien à tuer pour être sûr du silence de tous ?… Par les tripes de Mme de Phalaris ! j’ai dû tuer l’archer Pépin et l’exempt Huron qui s’acharnaient un soir après mon habit cannelle, et cinq archers encore que j’ai massacrés, les pauvres, rue Mazarine… Je vois encore leurs cinq cadavres… Et, cependant, je ne suis pas méchant ! Je voudrais ne faire de mal à personne… Je ne demande qu’une chose, c’est qu’on me laisse tranquillement faire la police dans Paris, pour la sécurité de tout le monde… Mon grand