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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

heureux, vivons le Maintenant, Cartouche est chassé ! »

» Là-dessus Marceline demanda l’heure qu’il était et Adolphe lui répondit qu’il était onze heures ; moi, je tirai mon oignon et je vis qu’il était onze heures et demie ; or, comme ma montre ne s’était jamais dérangée, j’affirmai qu’il était onze heures et demie.

» — Non, fit Adolphe, je te demande pardon, il est onze heures.

» — Et moi ! m’écriai-je, car j’étais bien sûr de ma montre, je te donne mon doigt à couper qu’il est onze heures et demie.

» Mais l’Homme de Lumière consulta son chronomètre et dit qu’il était onze heures. C’était mon ami Adolphe qui avait raison. Je le regrettai à cause de mon doigt. Je suis un homme juste et un honnête commerçant. J’ai toujours tenu ma parole et j’ai toujours fait honneur à ma signature. Je n’hésitai pas. Pouvais-je faire autrement ? « C’est bien, dis-je à Lecamus, je te dois mon doigt ! Le voilà ! » Et, saisissant une petite hachette que l’Homme de Lumière avait sur son bureau et qui lui servait de presse-papiers, je la fis tourner en l’air et l’abattis sur mon petit doigt de la main gauche que j’avais mis bien en évidence sur le bout de la table du bureau. (C’était mon droit de ne donner à Adolphe que le petit doigt de ma main gauche. Je lui avais dit en effet : « Je te donne mon doigt à couper », mais je n’avais pas stipulé lequel, et j’avais choisi celui dont l’absence devait le moins me gêner.) Mon petit doigt allait être infailliblement tranché, quand l’Homme de Lumière saisit au passage mon poignet avec une adresse et une force incroyables. Il me dit de lâcher ma hachette ; je lui répondis que je ne lâcherais ma hachette que lorsqu’elle aurait tranché mon doigt, qui appartenait à Adolphe. Adolphe s’écria qu’il n’avait que faire