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THÉOPHRASTE PRÉTEND QU’IL N’EST PAS MORT…

quand je descendais la rue Mazarine, pour gagner les quais, je m’arrêtais à la rue Guénégaud et je prenais la rue Guénégaud avec plaisir. Je dis tout cela à Adolphe. Il me demanda :

» — Est-ce qu’il y a encore d’autres endroits que tu n’as pas pu traverser ?

» En effet, en y réfléchissant bien — c’est tout à fait inouï et on a bien tort, vraiment, de ne pas réfléchir — je n’ai jamais pris le Pont-Neuf — oh ! jamais ! — ni le Petit-Pont ; et il y a, au coin de la rue Vieille-du-Temple, une maison avec des grilles aux fenêtres et un soleil d’or devant laquelle j’ai toujours reculé !

» — Et pourquoi, me demanda encore Adolphe, ne peux-tu passer dans ces endroits, sur ces ponts, devant cette maison de la rue Vieille-du-Temple ?

» Je me rappelai alors exactement pourquoi et, certes, la raison en est bien la plus naturelle du monde. Je croyais ne pas savoir pourquoi, mais évidemment je le savais, puisque c’était à cause des pavés.

» — À cause des pavés ?

» — Oui, à cause de la couleur des pavés, à cause que ces pavés sont rouges. Il m’est absolument impossible de supporter la couleur rouge des pavés. Cette couleur ne me produit pas le même effet sur la brique et sur la tuile.

» — Et alors, reprit Adolphe qui m’écoutait, penché sur moi comme un médecin qui écoute battre l’artère d’un malade, et alors, le sol de cette place que tu traverses, ce sol n’est pas rouge ?

» — Me crois-tu atteint de daltonisme ?

» — Sais-tu bien que cette place, fit-il brusquement, était la place de Grève ?

» — Parbleu ! c’était là qu’était le pilori, là l’échelle, là la plateforme, l’échafaud où se dressaient la roue et