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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

» — Si cela peut te servir, je la traverserai.

» — Tu as traversé souvent la place de l’Hôtel-de-Ville ?

» — Oh ! très souvent !

» — Et il ne s’est rien passé d’anormal, tu n’as rien ressenti ?… Tu ne l’es souvenu de rien ?

» — … De rien !

» — Se trouve-t-il des endroits, dans Paris, que tu n’as pas pu traverser ?

» J’estimai cette question tellement, mais tellement stupide, que je haussai les épaules avec un dédain écrasant.

» — Et qu’est-ce qui pourrait m’empêcher de traverser l’endroit que je veux traverser ? Tu deviens bête, Adolphe.

» Je ne l’avais jamais traité si familièrement. Mais, cette fois, il ne pouvait s’en plaindre. Sa question ne signifiait rien du tout. Cependant, son regard insistait. Son regard me parlait, m’ordonnait de réfléchir. Je me rappelai alors quelques attitudes inexpliquées que j’avais eues avec moi-même. C’est ainsi que, plusieurs fois, devant me rendre place de l’Odéon et me trouvant devant l’Institut, j’étais entré dans la rue Mazarine. Mais je n’y avais pas plutôt mis le pied que je retournais sur mes pas et que je prenais un tout autre chemin. Je me rendais compte vaguement de ma contremarche, surtout après, et je m’accusais de distraction. Mais plus j’y songe et moins je crois vraiment que c’était là une distraction. En effet, je me suis trouvé plus de vingt fois à cet endroit, et plus de vingt fois j’ai rebroussé chemin. Jamais, jamais, je ne suis passé dans cette partie de la rue Mazarine qui commence à l’Institut et qui va jusqu’au coin de la rue Guénégaud et jusqu’au passage du Pont-Neuf. Jamais ! De même,