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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

et son trouble était si extrême qu’en se retournant un peu brusquement, dans le moment que Théophraste lui lançait une bordée d’injures, elle renversa la desserte et le vase de Sarreguemines qui en faisait le principal ornement. Il en résulta un grand bruit et une confusion complète. Théophraste s’en prit encore aux tripes de Mme de Phalaris et appela si vigoureusement Marceline auprès de lui qu’elle accourut malgré elle. Le spectacle qui l’attendait dans la cuisine était atroce :

Les yeux de M. Petito semblaient sortir des orbites. Était-ce l’effroi ? L’effroi devait y être pour quelque chose, mais aussi l’étouffement qui résultait du mouchoir que Théophraste lui avait enfoncé dans la bouche. M. Petito lui-même était couché sur la table en bois blanc. Théophraste avait eu le temps et la force invincible de lui lier les poings et les chevilles avec des ficelles. La tête de M. Petito pendait un peu au delà de la table. À côté de la table et sous la tête de M. Petito, il y avait une jatte que M. Longuet avait placée là pour ne rien salir. Celui-ci, les narines palpitantes (c’est ce que Marceline remarqua surtout dans la figure formidable de son mari), avait pris M. Petito par les cheveux, de la main gauche. Dans la main droite, il serrait le manche d’un couteau de cuisine ébréché, qui ne servait guère qu’à ouvrir les huîtres et les boîtes de sardines. Les dents de Théophraste grinçaient. Il dit :

Amène les pavillons !…

Et il entama l’oreille droite. Le cartilage résistait. On entendait, à travers le mouchoir, le hurlement lointain et tout à fait sourd de M. Petito. Comme M. Longuet était resté en chemise, il semblait, par derrière, quand on ne voyait pas son visage terrible, un interne penché sur une opération difficile. Marceline, sans force, tomba à genoux. M. Petito tenta un mou-