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HISTOIRE DES OREILLES DE M. PETITO

laisser partir son voisin. Il le pria de s’asseoir, il s’assit lui-même.

— Monsieur Petito, lui dit-il sur le ton de la plus excessive politesse, vous avez une figure qui me déplaît. Ce n’est point de votre faute, mais ce n’est point de la mienne non plus. Certes, vous êtes bien le plus lâche et le plus méprisable des petits bandits, mais qu’importe ? Ceci n’est point mon affaire, mais celle de quelque honnête bourreau du roy qui vous invitera, la saison prochaine, à vendanger à l’Eschelle ou, certain jour qu’il fera chaud, vous mettra gentiment à la bise, à seule fin que vous gardiez, comme un brave homme, ses moutons à la lune ! Ne souriez pas, monsieur Petito ! (Il est absolument évident que M. Petito ne souriait pas.) Vous avez des oreilles ridicules, et je suis certain qu’avec de pareilles oreilles vous n’osez pas passer au carrefour Guilleri ![1]

M. Petito joignit les mains et bredouilla :

— Ma femme m’attend !

— Qu’est-ce que tu fais, Marceline ? cria Théophraste impatienté. Tu vois bien que M. Petito est pressé ; sa femme l’attend !… As-tu le couvert à découper ?

— Je ne trouve pas la fourchette ! répondit la voix tremblante de Marceline.

La vérité était que Marceline ne savait plus ce qu’elle répondait. Elle croyait son mari devenu complètement fou. Entre M. Petito cambrioleur, et Théophraste fou, elle n’était nullement portée à plaisanter. Elle s’était cachée instinctivement derrière la porte d’un placard,

  1. Au carrefour Guilleri se trouvaient une échelle et un pilori. C’était là que l’on pratiquait l’essorillement au détriment des voleurs. On laissait quelquefois l’oreille droite, mais on coupait toujours l’oreille gauche à cause d’une veine correspondante avec les organes de la génération. On espérait ainsi que les voleurs n’auraient pas de petits.