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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

Marceline, tu dois te dire : « Comme deux cents ans vous changent un homme ! »

Enchanté de sa petite narration, M. Longuet se mit à rire de l’inoffensive plaisanterie qui la terminait. « Comme deux cents ans vous changent un homme ! » Il plaisantait. Il plaisantait, vraiment, sincèrement. Ah ! ah ! il blaguait. Ainsi en va-t-il du bourgeois parisien d’aujourd’hui qui commence par s’épouvanter d’un rien et qui finit par rire de tout. M. Longuet en était arrivé à rire de lui-même. L’antithèse surnaturelle et terrifiante entre Cartouche et Longuet, qui l’avait plongé d’abord dans le plus sombre effroi, l’incitait, quelques jours passés, à « faire des mots ! » Le malheureux ! Il insultait au Destin ! Il riait au tonnerre ! Il blaguait la face de Dieu ! Son excuse est qu’il n’y voyait pas d’importance.

Il finissait par trouver son cas un peu bizarre. Il s’en amusait avec Adolphe. Il résolut même, à part lui, de ne point celer plus longtemps sa vraie personnalité à sa chère Marceline. Elle était intelligente, elle comprendrait. Il s’était imaginé que cette personnalité pourrait présenter des dangers pour lui-même et pour l’ordre social, mais voilà qu’elle n’existait plus à l’état réel, mais à l’unique état de souvenir, de doux souvenir !… Il n’aurait pas à combattre Cartouche comme il l’avait redouté ; il n’aurait qu’à lui demander, de temps en temps, quelque anecdote un peu salée, qui procurerait du succès à M. Longuet, dans les conversations. Cette histoire du régent, de Law et de la courtisane Émilie n’était-elle point la preuve de cet état d’âme ? Comme elle avait coulé de sa mémoire sans effort, avec gentillesse et galanterie ! Quel mal donc y avait-il à cela ? Après tout, s’il avait été Cartouche, il n’y allait point de sa faute et il serait bien bête de s’en faire de la bile !