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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

au coin de la rue Barbette et des Trois-Pavillons, et que le régent montrait plus d’attachement pour elle qu’il n’en eut jamais pour la duchesse de Berry dont il était dégoûté depuis longtemps, pour la Parabère, ou même pour sa seconde fille, Mlle d’Orléans, qui venait de s’enfermer au couvent de Chelles, moins à cause de son amour pour Dieu que de son penchant pour les belles religieuses (Quelles mœurs ! mon cher Adolphe, quelles mœurs !) et qu’il se consolait avec elle des mépris plus récents de Mlle de Valois, uniquement occupée du duc de Richelieu. Cette courtisane Émilie n’était pourtant qu’une fille d’opéra, mais sa beauté, comme je te l’ai dit, dépassait tout ce qui peut s’imaginer. Je ne fus pas longtemps à en juger par moi-même.

» Vingt-quatre heures après l’entrevue de Saint-Germain, c’est-à-dire le minuit suivant, je sortis d’un placard qui faisait justement l’angle de la rue des Trois-Pavillons et de la rue Barbette. J’avais, comme par hasard, un pistolet de chaque main, ce qui fit qu’il me fut impossible de saluer décemment Mlle Émilie, qui se trouvait pour l’heure dans le plus galant déshabillé, et M. le surintendant, qui lui présentait un écrin dans lequel brillaient les feux d’un collier qui valait pour le moins dix mille louis. Je m’excusai de la nécessité où j’étais de garder mon chapeau sur la tête et je priai M. le surintendant, vu l’encombrement de mes mains, de refermer l’écrin sur le collier et de mettre le tout dans la poche de mon habit cannelle, lui promettant ma reconnaissance de ce léger service.

» Comme il hésitait, je procédai à ma présentation, et quand il sut que je me nommais Cartouche, il n’est point de gentillesses dont il ne m’accablât. Je suppliai Mlle Émilie de se rassurer, lui affirmant qu’elle ne courait aucun danger, ce dont elle fut convaincue, car elle