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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

ment en proclamant qu’il était fort curieux de me connaître et qu’il donnerait de sa poche vingt mille livres à qui lui amènerait Cartouche. Le lendemain, comme il était venu en promenade à Saint-Germain et qu’il déjeunait au château, il trouvait sous sa serviette un mot dont voici à peu près les termes, mais dont voici sûrement le sens : « Monseigneur, vous pouvez me voir pour rien. Soyez cette nuit, à minuit, derrière le mur d’Anne d’Autriche, dans la forêt, au lieu dit : Saint-Joseph. Cartouche vous y attendra. Vous êtes brave ; venez seul. Si vous venez accompagné, vous courrez danger de mort. »

» À minuit, j’attendis le régent, et le douzième coup sonnait encore aux Loges que le régent apparut. Il faisait un clair de lune de féerie, comme on en voit au théâtre. La forêt semblait dégager de toutes ses branches, de tous ses feuillages, de tous ses buissons une merveilleuse clarté bleue. « Me voici, Cartouche, dit le prince ; je viens à toi armé de ma seule épée, comme tu l’as voulu. Je cours peut-être les plus grands dangers, ajouta-t-il d’un clair accent railleur, mais que ne risquerait-on pas pour voir de près, à minuit, au cœur d’une forêt, la figure de Cartouche, quand ça ne coûte rien ! » Oh ! Adolphe, mon ami, j’aurais voulu que tu fusses là pour m’entendre répondre au régent de France. Certes, je ne suis que le fils d’un pauvre tonnelier de la rue du Pont-aux-Choux, mais quel Condé, quel Montmorency se serait incliné avec plus de grâce, balayant l’herbe humide de la plume de son chapeau ? Le duc de Richelieu lui-même n’aurait pas plus élégamment mis un genou en terre comme je le fis aussitôt, ni présenté de façon plus gracieuse à Monseigneur la bourse que je venais de lui prendre dans sa poche. « Je suis de Monseigneur, dis-je,