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M. LONGUET NOUS EN RACONTE « UNE BIEN BONNE »

nous eûmes dépassé le mur à gauche, vers le Nord, en nous enfonçant toujours davantage dans la forêt.

» Nous nous assîmes à un prochain carrefour, au pied d’un gros arbre fourchu, sur l’herbe verte. Mes yeux brillaient du feu extraordinaire de la jeunesse, en regardant ces lieux, et je commençai en ces termes :

» — Adolphe, mon ami, il faut que je te dise qu’à cette époque ma fortune était complète. J’étais redouté et aimé de tous. J’étais même, Adolphe, aimé de mes victimes. Je les dépouillais si galamment qu’elles s’en allaient ensuite, par la Ville, chanter mes louanges. Je n’étais pas encore entrepris par cet épouvantable instinct sanguinaire qui devait, quelques mois plus tard, me faire commettre les plus grandes atrocités. Tout me réussissant, tous me craignant et tous m’aimant, j’étais heureux, enjoué, d’une magnifique audace, somptueux en amour, du meilleur caractère du monde et le maître de Paris. On a dit que j’étais le maître de tous les voleurs, ce n’était qu’à moitié vrai, car il me fallait partager cette souveraineté avec M. Law, contrôleur général des finances. Notre gloire fut à son apogée dans le même temps. Je n’en étais point trop jaloux, car souvent il me payait tribut, lui et ses gens. Mais il imagina d’exciter le régent contre moi, un soir que j’avais volé chez lui, dans son hôtel, sur les indications d’un laquais, à lord Dermott, qui y était venu pour traiter d’affaires, un million trois cent mille livres d’actions du Mississipi, de la Ferme des tabacs et de la Compagnie des Indes.

» Le régent fit venir M. d’Argenson, garde des sceaux, et lui dit qu’il avait huit jours pour me faire arrêter. M. d’Argenson promit tout ce qu’on voulut, pourvu qu’on lui laissât reprendre le chemin du couvent de la Madeleine du Trainel, où venait de se réfugier sa maitresse, Mlle Husson. Huit jours plus tard, M. d’Argenson