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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

moulé par un artiste florentin sur ma figure, quelques jours avant mon supplice. Il est coiffé, m’affirmait M. Lecamus, d’une toque de laine ou de feutre grossier, vêtu d’une chemise de grosse toile recouverte de suie, d’un gilet, d’une veste et d’un pourpoint de camelot noir. Mais ce que M. Lecamus affirmait encore et qui était plus extraordinaire, c’est que les cheveux et la moustache auraient été coupés sur mon cadavre et recollés sur ma cire ! Le tout devait être renfermé dans un cadre en bois doré, large et profond, d’un fort joli travail. Une glace de Venise protège le portrait et on remarquerait encore sur le cadre la trace de l’écusson aux armes de France.

» Je demandai à Adolphe d’où il tenait des détails aussi précis ; il me répondit que c’était là, depuis deux jours, le résultat de ses recherches dans les rayons les plus oubliés des plus illustres bibliothèques.

» Mes cheveux ! ma moustache ! mes habits ! Tout moi d’il y a deux cents ans ! Malgré l’horreur qu’auraient dû m’inspirer les reliques d’un homme qui avait commis autant de crimes, je ne me tenais point d’impatience de les voir, de les toucher. Ô mystère de la nature ! Abîme profond des âmes ! Précipice vertigineux des cœurs ! Moi, Théophraste Longuet, dont le nom est synonyme d’honneur, moi qui eus toujours peur du sang répandu, je chérissais déjà dans ma pensée les restes maudits du plus grand brigand de la terre.

» Quand j’eus reconquis, après la scène du portrait de la rue Guénégaud, l’empire de mes sens, et que j’examinai ce qui se passait au fond de moi, vis-à-vis de Cartouche, je fus d’abord tout étonné de ne point y trouver un désespoir assez certain pour qu’il me dégoûtât de la vie et me reportât pour la seconde fois, dans la tombe. Non, je ne songeai point à supprimer