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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

— Oui.

— De beaucoup de brigands ?

— À Paris seulement, tu commandais à trois mille hommes.

— Trois mille ! Diable ! C’est un chiffre

— Tu avais plus de cinquante lieutenants. Il y avait toujours, de par la ville, vingt hommes vêtus exactement comme toi en habit cannelle, doublé de soie amarante, exhibant un morceau de taffetas noir au-dessus de l’œil gauche, pour dépister la police.

— Oh !! oh !! oh !! s’exclama Théophraste avec un accent d’orgueil dont il ne fut pas le maître, c’était une maison importante !

— On a relevé contre toi plus de cent cinquante assassinats personnels !…

Je dois faire remarquer que Théophraste pêchait la perchette, au véron, depuis plus d’une heure, sans que rien n’eût pu, jusqu’alors, lui faire soupçonner l’existence, dans les eaux de la Marne, d’un poisson quelconque amateur de son vivant appât. Soudain, le bouchon que le véron promenait parmi les cœurs verts des nénuphars, sans hâte, bien qu’avec inquiétude, sembla frappé de vertige. Il fit un saut sur l’eau et plongea. Mais il plongea avec une telle rapidité inattendue, il disparut dans le gouffre humide avec une précipitation si définitive, qu’il entraîna avec lui tout le fil qui le reliait à la gaule qui le reliait à la main de Théophraste. Et le malheur fut que, après avoir entraîné à sa suite tout le fil, il entraîna toute la gaule, de telle sorte qu’il ne fut plus relié du tout à la main restée entr’ouverte de Théophraste. Dans la circonstance, il ne pouvait plus être question de perchette ni même de perche. Un tel exploit contre le pêcheur devait être mis sur le compte d’un « bêtet » exceptionnel, comme par exemple, d’un