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L’HOMME QUI REVIENT DE LOIN

Quand ils furent tous trois dans le kiosque, elle dit tout de suite :

« Nous serons bien là pour ce que j’ai à vous dire… on ne nous entendra pas et, de cet endroit, nous pourrons voir tout ce qui se passe… Tenez, ajouta-t-elle brusquement, en étendant le bras, c’est là qu’il vient !… »

Par-dessus le mur, on apercevait devant soi, dans le crépuscule humide qui jetait déjà son voile sur la pâle coulée du fleuve, un chétif bouquet de saules, au pied duquel était attachée une vieille nacelle. Sur ce coin désolé de la rive pesait encore l’ombre proche et gémissante du petit bois de trembles.

« Oh ! que c’est triste, ici ! ne put s’empêcher de dire Mme de la Bossière.

— Oui, mais si vous saviez comme c’est beau au clair de lune !… quand il vient flotter sur les eaux, comme Jésus… Il marche sur les eaux, je vous assure, et cela lui paraît si naturel… Il aborde au rivage…

— Mais ma petite, il doit venir sur ce vieux bachot ! exprima Jacques, et le bruit des chaînes que vous entendez, c’est le bruit de la chaîne du bachot… quand il l’attache au pied des saules.

— Mais laisse donc Mme Saint-Firmin parler… Tu penses bien que si c’était aussi simple que ça, Mme Saint-Firmin s’en serait déjà bien aperçue…

— Vous avez absolument raison, madame… je ne suis ni aveugle, ni sourde, ni folle, quoi qu’en dise mon mari…