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au nom d’Atahualpa qui t’attend !… »[1]

Ainsi elle était revenue à la vie pour mourir, mais après chaque étape, au moment du départ, les petites momies vivantes revenaient avec leur sachet sacré et il suffisait ainsi que les mammaconas allumassent en chantant la sandia au fond des vases précieux pour qu’elle ne fût plus à nouveau qu’une statue inerte entre leurs mains agiles. Ainsi lui avait-on fait traverser tout le Pérou ; ainsi était-elle arrivée à Arequipa, dans la petite maison en adobes qui devait être la dernière étape avant la Maison du Serpent. Là, elle avait vu apparaître pour la première fois Huascar qui portait dans ses bras un léger fardeau recouvert d’un voile. Elle avait eu la force de se lever à son approche. Elle lui avait crié : « Tu viens pour me sauver ! » Elle avait dit cela sans se préoccuper de toutes les oreilles qui étaient là. L’autre lui avait répondu : « Tu appartiens au Soleil, mais, avant qu’il te prenne, je t’apporte une grande joie. Tu vas pouvoir embrasser ton petit frère. » Il avait alors soulevé le voile et lui avait présenté l’enfant endormi. Elle poussa un cri et voulut se jeter en avant, mais Huascar recula, car il était défendu de toucher à l’Épouse du Soleil. Les trois gardiens du temple étaient là, balançant leurs crânes hideux. Ils donnèrent l’ordre à l’une des mammaconas de porter l’enfant endormi à Marie-Thérèse. Alors celle-ci l’avait pris dans ses bras avec désespoir, et l’avait embrassé en pleurant. C’était la première fois qu’elle pleurait depuis qu’elle était prisonnière. Ses larmes tombèrent sur les paupières de l’enfant qui ouvrit les yeux.

Elle dit : « Comment l’avez-vous ici ? Vous n’allez point lui faire de mal ? » Huascar, pendant que l’enfant, pendu au cou de sa grande sœur, sanglotait dans son sein « Marie-Thérèse ! Marie-Thérèse ! » avait répondu :

— Nous ferons ce qu’il voudra. Moi, je ne demande pas mieux que de le rendre à ses parents. C’est lui qui est venu nous chercher. C’est lui qui décidera de son sort, qu’il prenne garde à ses paroles ! c’est tout ce que je puis dire, tout ce que je puis faire pour vous. J’en appelle aux trois gardiens du temple.

Ceux-ci balançaient leurs crânes hideux, pour approuver tout ce que disait Huascar.

Marie-Thérèse, qui couvrait l’enfant de baisers, releva son beau visage où était peinte une épouvante nouvelle :

— Que voulez-vous dire ? Que voulez-vous dire avec : qu’il prenne garde à ses paroles ? Est-ce qu’un petit enfant peut prendre garde à ses paroles ?

Huascar, alors, s’était adressé au petit Christobal :

— Enfant ! veux-tu venir avec moi ? Je te rendrai à ton père !

— Je veux rester avec Marie-Thérèse, avait répondu Christobal.

— L’enfant a parlé, avait dit Huascar, il ne te quittera plus ! C’est le rite, n’est-ce pas, vous autres ?

Les trois gardiens du temple balançaient leurs crânes.

Alors, Huascar, avant de partir, avait prononcé les mots du psaume aïmara : « Heureux sont ceux qui parviendront purs dans le royaume du Soleil, purs comme le cœur des petits enfants, à l’aurore du monde ! »

— Huascar ! Huascar ! souviens-toi de ma mère ! Aie pitié de nous !…

Mais Huascar avait salué les gardiens du temple et était parti. Marie-Thérèse avait étreint le petit Christobal, l’avait serré sur sa poitrine comme une folle : Malheureux enfant, pourquoi es-tu venu ?

— Pour te dire, Marie-Thérèse, de ne pas avoir peur. Papa et Raymond vont venir… Ils te cherchent, ils sont derrière nous. Ils nous sauveront… mais si tu meurs, je veux mourir avec toi !

Alors ils avaient pleuré, pleuré tous les deux, et ils n’avaient pas cessé de s’embrasser, et leurs deux visages étaient ruisselants de leurs larmes mêlées.

Puis étaient revenues les mammaconas qui avaient disposé leurs trépieds, leurs vases sacrés, et on avait allumé la sandia. Et ils s’étaient endormis tous les deux, dans les bras l’un de l’autre.

Et, maintenant, elle se réveillait dans la Maison du Serpent et elle ne sentait plus contre elle les baisers et les larmes de Christobal. Cependant, il criait, il l’appelait… Elle parvint à se dresser dans le fauteuil où on l’avait étendue. Et alors elle vit, en face d’elle, l’enfant tout nu entre les mains des mammaconas. Effrayée, Marie-Thérèse voulut courir au secours de Christobal, mais six mammaconas l’entourèrent et la calmèrent momentanément en lui affirmant qu’on ne ferait aucun mal à l’enfant et qu’on procédait simplement à sa toilette, comme il allait être fait pour elle, car ils devaient revêtir tous deux la robe

  1. C’est dans ce pays même qu’a été découvert le secret de l’écorce du quinquina.