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souvenu que la madre de la señorita a ramassé un jour à Callao un enfant tout nu ! et il a juré de sauver la señorita du terrible honneur d’entrer dans les demeures enchantées du Soleil.

L’homme se tut. Le marquis lui tendit la main. Il ne la prit pas.

Gracias, señor, remercia la voix rauque de l’Indien.

Et un triste sourire erra sur ses lèvres pâles.

— Et mon fils, Huascar, me le rendras-tu aussi ?

— Votre fils ne court aucun danger, señor ! Huascar veille sur lui !

— Oui ! oui ! tu veilles sur mon fils ! tu veilles sur ma fille, et demain peut-être je n’aurai plus d’enfants !

— Tu n’auras plus d’enfants ! répliqua Huascar de plus en plus sombre, si tu ne fais pas tout ce que te dira Huascar. Mais si tu fais tout ce que dira Huascar, je te jure, sur les mânes d’Atahualpa qui attend ta fille et que je trahis, pour ma damnation éternelle, que la señorita sera sauvée !

— Et que faut-il faire ?

— Rien ! Voilà pourquoi Huascar est venu te trouver. C’était pour te dire : Ne fais rien, reste ici ! toi et tes amis ! N’approchez plus de la petite maison en adobes du Rio Chili. Ne poursuivez plus les punchos rouges ! N’excitez pas leur surveillance ! Cessez de les mettre en garde ! et laissez-moi agir ! Je réponds de tout si tu me donnes ta parole que ni toi ni les tiens, on ne vous verra plus rôder autour de nous. Ils vous connaissent. Votre apparition, si mystérieuse soit-elle, est immédiatement signalée et les mammaconas font la chaîne noire autour de la fiancée du Soleil, prêtes à la tuer à l’apparition des premiers visages étrangers et à l’offrir morte à Atahualpa s’ils ne peuvent la lui donner vivante ! Ne quittez point cette auberge, ou tout au moins ne sortez pas des limites de cette place. Si tu me jures cela, je puis déjà te promettre une chose, c’est que cette nuit, environ à minuit, je t’amènerai ici ton fils, ton bien-aimé Christobal ! que ta fille suivra bientôt dans tes bras !

Le marquis alla détacher un petit crucifix attaché à la muraille au-dessus du lit et il revint à Huascar.

— La marquise t’a fait élever dans notre sainte religion, dit-il ; jure-moi que tu feras bien ce que tu viens de dire, jure-le-moi sur le Christ !

Huascar étendit la main et jura.

— Moi, fit-il au marquis après avoir juré, moi, je n’ai besoin que de votre parole !

— Tu l’as ! déclara Christobal. Et nous t’attendons ici à minuit !…

— À minuit ! répéta Huascar qui remit son chapeau et gagna la porte.

— Messieurs, demanda le marquis en se retournant vers Raymond et Natividad quand on entendit les pas de l’Indien dans l’escalier, j’ai donné ma parole, nous la tiendrons. Je crois fermement que Huascar nous sauvera de cette terrible aventure. Nous n’avons aucune raison de douter de lui après la preuve qu’il nous a donnée par deux fois de son dévouement, en nous avertissant à Cajamarca et à Lima !

— C’est mon avis ! dit Natividad.

Mais Raymond se taisait.

Plusieurs fois il avait fixé le regard de l’Indien et il lui semblait bien n’y avoir point trouvé cette franchise héroïque qu’il étalait dans ses discours.

— Qu’en dites-vous, vous, Raymond ? Quel effet vous a-t-il produit ?

— Un mauvais effet ! répliqua le jeune homme. Maintenant, je me trompe peut-être, je sens que Huascar me déteste et, moi, je ne l’aime pas. Nous sommes dans un mauvais état d’esprit pour nous juger l’un l’autre. En attendant, nous sommes ses prisonniers ! termina-t-il.

Mais la triste réflexion de Raymond se perdit dans le bruit que Natividad faisait en ouvrant la fenêtre. En même temps, il s’écriait :

— Mais je vous assure que j’ai vu cette figure-là quelque part !

— Moi aussi ! elle ne m’est certainement pas inconnue !… dit Christobal qui était venu se placer à côté de Natividad.

Raymond les rejoignit. Il aperçut sur la place le grand squelette de vieillard qu’il avait vu sous la voûte.

Toujours appuyé sur son bâton, s’arrêtant encore et se dissimulant d’une façon enfantine, ici derrière une charrette, là derrière un auvent, il suivait Huascar ! L’Indien s’était retourné deux ou trois fois du côté de l’homme et puis avait poursuivi son chemin sans autrement s’en préoccuper. Tout à coup, le marquis qui était resté pensif, à la fenêtre, se recula très pâle :

— Oh ! fit-il, je reconnais cet homme ! C’est le père de Maria-Christina d’Orellana !

Natividad, dans le même moment, fit entendre une sourde exclamation :

— Oui ! oui ! C’est lui ! Nous l’avons tous connu à Lima avant son malheur !…

Ils restèrent sous le coup de l’appa-