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misérables, hein ? On va les coffrer !… les châtier !… On va la sauver !…

— Nous ferons ce que nous pourrons ! Ils sont bien une trentaine et nous ne disposons, en ce moment, d’aucune force, à Callao, on a tout réquisitionné pour la lutte contre Garcia et les troupes sont dans la sierra.

— Mais vous pouvez téléphoner à Lima !

Et l’on me prendra encore pour un fou, comme il y a dix ans ! répondit énigmatiquement Natividad.

— Enfin, serons-nous arrivés à Chorillos avant eux ?

— Certes, il y a un train dans dix minutes !

— Ah ! vous auriez mieux fait de me procurer un cheval ! Donnez-moi un cheval, fit Raymond, que je les suive ! que je les rejoigne, que je sache au moins où ils vont ! je marcherai tout seul contre eux !

— Non ! Non ! j’irai avec vous ! je ne vous quitte pas !

Et, poursuivant sa pensée Natividad ajoutait pour lui-même : « Ils n’ont pas voulu me croire, il y a dix ans ! Eh bien, ça recommence ! ça recommence ! »

Mais Raymond ne l’écoutait pas. Il voulait agir, agir, et il craignait de perdre la piste en prenant le train… Il le dit au commissaire.

— La route qu’ils ont prise, répondit Natividad, suit la ligne du chemin de fer. Je m’entends avec le chef de train. Si nous apercevons une auto qui attend sur la route, nous faisons stopper. Si nous apercevons les punchos rouges, nous les dépassons et les attendons de pied ferme à Chorillos, dont les autorités seront prévenues. Rien n’est perdu, Monsieur Ozoux.

Ils arrivèrent à la gare. Là, Natividad eut le temps de téléphoner à son commissariat, auquel il donna l’ordre de se mettre en communication immédiate avec Chorillos. La police de Chorillos devait s’opposer par tous les moyens au passage d’une auto qui venait de Callao.

Raymond et le commissaire s’entretenaient fiévreusement avec le chef de train, sur le quai de la gare, quand ils virent descendre d’un train de Lima et accourir vers eux le marquis de la Torre, l’oncle François-Gaspard et le petit Christobal.

— Marie-Thérèse ? Où est Marie-Thérèse ? s’écria le marquis du plus loin qu’il aperçut Raymond.

Et il courut à lui.

— Pourquoi êtes-vous seul ? Où est-elle ? Mon Dieu qu’est-il arrivé ? mais parlez !

Le petit Christobal était déjà pendu aux jambes de Raymond et demandait en pleurant des nouvelles de sa sœur. L’oncle Ozoux était des plus agités et tournait autour du groupe avec ses longues jambes stupides. Le train siffla. Natividad se précipita à son tour sur Raymond et fit monter tout le monde dans le convoi qui déjà s’ébranlait. Raymond avait pu enfin jeter : « Oui, les Indiens l’ont enlevée ! Mais nous savons où elle se trouve, à Chorillos ! »

Ainsi, en quelques mots, lui annonçait-il le malheur en essayant d’en diminuer l’importance. Il dut parler, cependant, s’expliquer. Le marquis jurait qu’il tuerait de sa main tous les Indiens quichuas. Le petit Christobal sanglotait. Mais, eux, comment étaient-ils là ? Qui donc les avait prévenus ? Qui les avait fait venir à Callao ? Raymond apprit qu’à l’angélus du soir, Agnès et Irène s’étaient aperçues qu’on avait volé le bracelet soleil d’or qu’elles avaient déposé aux pieds de la Vierge de San Domingo. Effrayées du sacrilège, elles étaient rentrées à l’hôtel, poussées par le plus sinistre pressentiment et ayant grande hâte de retrouver Marie-Thérèse pour lui conseiller de se tenir sur ses gardes. La première personne à laquelle elles s’étaient heurtées avait été justement le marquis, qui n’était pas moins effrayé qu’elles. Il accourait de son cercle où il n’avait pas mis les pieds depuis une semaine, passant son temps à faire visiter ses nécropoles à l’oncle Ozoux. Or, là, il avait trouvé une lettre écrite dans le style de celle qui les avait fait fuir de Cajamarca et qui lui conseillait de veiller nuit et jour sur Marie-Thérèse pendant les fêtes de l’Interaymi et surtout de ne point laisser sa fille se rendre à Callao, le prochain samedi !… Or, le prochain samedi était celui-là, c’est-à-dire le jour même où il trouvait cette lettre qui l’attendait depuis leur retour de Cajamarca !… Et voilà qu’il était près de sept heures du soir, et que ni Marie-Thérèse ni Raymond n’étaient encore revenus de Callao. Il n’y avait pas à hésiter. Il fallait courir là-bas.

Les vieilles avaient voulu partir, elles aussi, tant elles pressentaient la catastrophe et aussi la petite Isabelle, mais on laissa les femmes à la maison et le marquis se jeta dans le premier train avec François-Gaspard, suivi du petit Christobal qu’aucun ordre, qu’aucune menace n’avaient pu faire rester à Lima.

Le récit simultané des tribulations de la famille de la Torre à Lima et celui de l’enlèvement de Marie-Thérèse, à Callao, se mêlaient, dans un éclat désespéré, aux