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publique se trouvait réunie sur la place centrale non loin des restes du palais où se trouve la fameuse pierre sur laquelle avait été brûlé Atahualpa, le dernier roi Inca.

C’était là le centre de toute cette muette manifestation, le but des longs voyages d’Indiens à travers la montagne. Du moins était-ce là, — cette visite à cette pierre, — le prétexte religieux qui semblait les avoir poussés vers Cajamarca en un si grand nombre.

Le marquis, stupéfait, rappelait avec inquiétude que la grande révolte indigène de 1818 avait été précédée de manifestations semblables. Est-ce que vraiment les fêtes de l’Interaymi qui devaient commencer le lendemain et durer quinze jours allaient être le signal d’un de ces mouvements populaires que les gouvernements péruviens croyaient depuis longtemps n’avoir plus à redouter ?

Dans le moment que Christobal se posait cette question, il s’arrêta tout net devant une bâtisse dont l’enseigne annonçait le bureau de poste. Et il mit pied à terre, tout de suite. Raymond et Marie-Thérèse échangèrent un sourire. On allait enfin savoir quel était le nom du facétieux expéditeur du bracelet-soleil-d’or.

Et ils arrêtèrent leur mule, attendant le retour du marquis avec une indifférence qui était peut-être un peu affectée.

Au bout de dix minutes, le marquis ressortait du bureau de poste.

— J’ai le nom et l’adresse, dit-il, d’un air assez préoccupé.

— Et comment s’appelle notre expéditeur ? demanda Marie-Thérèse.

Il s’appelle Atahualpa ! répliqua le marquis en remontant sur sa mule.

— C’est la plaisanterie qui continue ! répliqua Marie-Thérèse, la voix légèrement changée.

— Je le crois, fit Christobal, j’ai parlé à l’employé qui a reçu le colis postal et qui n’a pas de peine à se rappeler la physionomie de l’expéditeur, car ce nom de l’Atahualpa l’avait également frappé. La boîte a été apportée par un Indien quichua qui, sur la question de l’employé, a répondu qu’Atahualpa était véritablement son nom, ce qui, après tout, est bien possible.

— Puisqu’il a donné son adresse, allons lui faire une petite visite, dit Raymond.

— J’allais vous le proposer, fit Christobal. Et il poussa sa mule, prenant la direction de la troupe. François-Gaspard fermait la marche, toujours prenant des notes, le carnet sur le pommeau de sa selle.

Ils traversèrent un ruisseau qui va se jeter dans un affluent du haut Maranon, passèrent près des ruines de San Francisco, la première église construite au Pérou, et le marquis, après avoir demandé plusieurs fois son chemin, conduisit ses compagnons sur une place grouillante d’Indiens.

Sur un des côtés de cette place s’élevaient d’antiques murailles qui avaient encore conservé forme de palais. Ç’avait été là la dernière demeure du dernier roi Inca. Là, il avait vécu dans sa gloire et là il s’était préparé au martyre.

Là, avait habité Atahualpa et c’était là que l’employé des postes avait envoyé Christobal de la Torre !

Prise dans un remous de la foule, la caravane dut subir un singulier mouvement qui la poussa vers le palais dont elle se trouva avoir franchi les vastes portes sans qu’elle pût exactement se rendre compte de la façon dont elle y avait été amenée.

Ils étaient maintenant dans une large enceinte pleine d’Indiens, les uns debout montrant orgueilleusement des fronts de chefs, les autres prosternés autour d’une pierre centrale, la pierre sacrée, la pierre du martyre.

Derrière cette pierre, debout sur un escabeau, un indigène drapé dans un puncho d’un rouge éclatant et tel qu’aucun Espagnol qui était là n’avait pu encore en voir sur les épaules d’un Indien, parlait… et tous l’écoutaient dans un silence impressionnant.

Il parlait à cette foule en indien quichua.

Or, à l’arrivée de Christobal, de Marie-Thérèse, de Raymond et de François-Gaspard, une voix se fit entendre qui interrompit l’espèce de récit psalmodié de l’homme au puncho rouge. Et cette voix disait :

Parlez espagnol. Tout le monde comprendra !

Le marquis et Marie-Thérèse se retournèrent.

Le commis de la banque franco-belge était derrière eux, les saluant et leur faisant comprendre qu’il était aimablement intervenu à leur intention.

Chose extraordinaire, cette interruption, qui eût pu passer pour sacrilège, ne fut suivie d’aucun murmure. Et l’Indien au puncho rouge parla espagnol !

Il disait :

— En ce temps-là, l’Inca était tout puis-