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III
A. BÉRANGER.



la Révolution. Je pense souvent à cette sublime scène où Francklin présenta son petit-fils à Voltaire, et où le grand philosophe incrédule se leva, ému, plein d’enthousiasme, et, la main tendue vers le ciel, bénit le petit-fils de Francklin au nom de Dieu et de la liberté : God and liberty ! Je me trompe peut-être, mais il me semble que cette alliance entre Voltaire et Francklin fut aussi une sorte de réconciliation entre Voltaire et Jean-Jacques : j’entends entre leurs génies divers, entre les pensées et les tendances dont ils avaient été les représentants ; car je découvre en partie Rousseau sous l’image de Francklin. Cette entrevue me parait ainsi une sorte de scène finale du dix-huitième siècle. Voltaire, si près de sa tombe ; Francklin, l’imprimeur Francklin, qui venait d’apporter à la France l’acte de déclaration des droits de l’homme et du citoyen, promulgué en Amérique après avoir été pensé en Europe ; et un enfant entre ces deux vieillards : quel spectacle ! Or supposez que ce petit-fils de Francklin, ainsi béni par Voltaire, soit devenu un grand poète : que serait-il arrivé ?

Ce poète se serait toujours souvenu avec piété de Voltaire, son parrain, et serait resté fidèle à la tradition du siècle émancipateur. Il aurait été, comme ce siècle, impitoyable pour toutes les hypocrisies, pour tous les mensonges, pour toutes les superstitions. L’esprit de la satire et de la comédie lui aurait été donné, pour achever de faire tomber tous les masques, et pour détruire les dernières impostures d’un ordre social faux et condamné par la Providence. Tandis qu’en d’autres pays que la France d’autres poètes n’auraient senti que la tristesse de cette mort de toutes les antiques croyances et l’effroi inévitable attaché à cette fin d’un vieux monde condamné, lui, il aurait continué l’œuvre d’initiation de la France, l’œuvre du dix-huitième siècle. Il aurait raillé encore, alors que ces autres