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BALAOO

Balaoo, éperdu de remords, l’appelle-t-il pour pleurer sur une tombe ? Pourquoi, dans le mot qu’il lui envoie, ne lui parle-t-il pas de Madeleine ? Silence tragique ! Abominable incertitude ! Madeleine ! Balaoo !…

Depuis des heures, voilà les deux noms chéris que l’infortuné Coriolis jette à l’écho de la forêt, et l’écho seul lui répond.

Plusieurs fois, il a cru reconnaître les sentiers qui mènent au Grand Hêtre de Pierrefeu ; mais ses pas se sont mêlés et peut-être n’a-t-il fait que tourner sur lui-même. Le soleil décline et perce de ses flèches obliques la haute futaie. Le crépuscule va venir : Balaoo ! Madeleine !…

Balaoo ! toi qui aimais tant ta petite maîtresse, est-il vrai que tu l’aies ravie comme une bête sauvage et que tu sois resté sourd à sa voix ?

Il crie, dans le soir qui tombe : « Ma fille est morte ! Ma fille est morte !… »

Alors, tombant à genoux et levant les mains au ciel dans un geste de pitié et de pardon, pour la première fois, il regrette son œuvre.

Comme son regard, où il y avait tout le désespoir du monde, montait au zénith, il rencontra un épais cercle de corbeaux qui jacassaient horriblement, ainsi que font les bêtes et les hommes, après un grand festin.

Ce cercle montait, puis descendait, et enfin disparut comme s’il tombait dans la forêt avec un accompagnement forcené de cris rauques et stridents comme des rires et des hoquets d’oiseaux de proie repus.

Le cœur de Coriolis se glaça.

Et soudain ses yeux accrochèrent un voile blanc que retenait la griffe d’un jeune pousse. Il se releva en titubant, et il se pencha sur ce voile ou plutôt sur ce