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BALAOO

fis demander ce qu’il me voulait ; mais il me répondit qu’il ne parlerait que devant moi, et qu’il fallait se presser, car il s’agissait d’une question de vie ou de mort.

« Je le fis entrer.

« Il ne me parut point fou. Avant même que je lui eusse adressé la parole, il me disait d’une voix nette, bien posée et profondément douloureuse :

« Monsieur le Préfet de police, je suis un misérable, je viens me constituer prisonnier entre vos mains. C’est moi qui suis le seul coupable de tous les crimes qui épouvantent aujourd’hui Paris et pour lesquels on poursuivrait en vain un pauvre être auquel je ne suis point parvenu à donner la responsabilité.

« Oui, monsieur le Préfet de police, j’ai fait cela, moi ! j’ai fait parler un singe !… comme un homme ; mais je ne suis point parvenu, malgré tous mes efforts, à lui donner une conscience humaine !… Je l’ai raté !

« Car j’ai raté tout, monsieur le Préfet de police, je suis un médecin raté, un professeur raté, un commerçant raté, un fonctionnaire raté… j’avais rêvé d’être le premier des hommes… ; ne pouvant réaliser mon rêve insensé, j’ai été chercher un singe au fond d’une forêt de Java, pour en faire le dernier des hommes !…

« Eh bien ! cela encore, je ne l’ai pas réussi !… Je suis maudit !… Dieu m’a frappé comme je le mérite !… j’ai voulu refaire ou hâter son œuvre… Hâter l’œuvre Dieu, voilà le crime de l’orgueil des hommes… j’y succombe.

« Mon scalpel a pu, en tranchant un nerf, et en me permettant d’en rapprocher un autre sous la langue, avancer de cent mille années l’œuvre de transformation de l’espèce ; mais, moi, je n’ai pu donner (n’ayant aucun