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BALAOO

Bois-sans-Soif, envoyé en mission par son lieutenant auprès du commandant de Terrenoire, arriva juste pour voir disparaître celui-ci comme il avait vu s’envoler le colonel. Mais, cette fois, ce fut épouvantable.

Le commandant et quelques officiers se tenaient à cheval sous les branches d’un gros chêne. À ce moment, on craignait en effet la pluie, car, bien que le ciel fût clair et la lune nette comme une pièce de cent sous, les premiers grondements d’un orage tout proche se faisaient entendre.

Tout à coup, on put croire que le chêne lui-même venait d’être frappé, car il y eut un coup de tonnerre effrayant dans l’arbre, et les chevaux sautèrent, se cabrèrent, hennirent de terreur. Il était impossible de les maintenir. Bois-sans-Soif vivrait cent ans qu’il n’oublierait jamais l’instant où le commandant de Terrenoire, sur son cheval cabré, fut enlevé de selle par quelque chose qui tombait de l’arbre et qui cependant y restait suspendu. C’était comme une balançoire à laquelle était pris maintenant, par les pieds, le vicomte dont la tête balayait la terre. Il était impossible de se rendre bien compte d’un aussi singulier spectacle, d’abord parce qu’il faisait nuit et que la lune arrivait difficilement sous les branches ; ensuite parce que tout le monde avait perdu son sang-froid.

Les chevaux, renversant tout obstacle, s’étaient enfuis emportant leurs cavaliers ou les laissant sous les branches.

Les hommes à pied s’étaient portés au secours de l’officier qui se mit à tournoyer et à s’abattre comme une massue dans le groupe imprudent qui avait voulu le sauver. Ah ! ça n’avait pas duré une minute ! Il y en avait deux, un lieutenant et un sous-lieutenant, qui avaient été tués sur le coup, à coups de vicomte dont la tête n’était plus