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BALAOO

longtemps, car il avait les deux poignets brisés !… Quant à lui, Bois-sans-Soif, il ne pouvait affirmer qu’une chose, c’est que toute l’affaire était venue d’en haut !… Oui ! la catastrophe était tombée comme qui dirait du ciel !…

Dans le moment qu’on croyait surprendre les Trois Frères et qu’on n’était plus loin de Moabit, il avait vu, devant lui, sous la lune, debout, au milieu d’un petit sentier, l’ombre du colonel de Briage qui tout à coup se soulevait de terre absolument comme on voit, dans les tableaux d’église, Notre-Seigneur Jésus-Christ s’enlever comme en ballon, le jour de son ascension. Le colonel montait au ciel. Pas un mot !… Pas un cri !… Il ne disait rien le « colo » ; mais il montait au ciel, les bras étendus, comme pour bénir la terre.

Bois-sans-Soif n’était pas le seul à avoir vu une chose pareille ; tous ses camarades, à côté de lui, l’avaient vue… et tous en avaient été si frappés qu’ils avaient cru d’abord qu’ils rêvaient… qu’ils étaient victimes d’une illusion, d’une hallucination… Et puis il avait bien fallu se rendre compte que le colonel avait disparu… deux officiers, derrière lui, avaient également assisté à l’inouï sortilège… et ils s’étaient tous mis, officiers et soldats, la tête en l’air, à appeler le colonel à mi-voix : « Colonel !… colonel !… » comme s’ils espéraient qu’il allait leur tomber du ciel. Son ombre avait disparu derrière les hautes branches des arbres, montant toujours…

Le premier mouvement d’affolement passé, on s’était précipité… on avait grimpé dans les branches, on avait rapidement battu ce coin de forêt… Mais rien, personne !… Plus de colonel ! Une pareille nouvelle s’était répandue rapidement sur toute la ligne qui resserrait son étreinte autour de Moabit.