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BALAOO

Gertrude avait eu plus d’une fois l’occasion de contempler les mains de pieds de Balaoo et elle était au courant du grand mystère. Aussi elle aimait Balaoo, non point comme un être humain, mais comme une chère petite bête à soi, c’est-à-dire avec un amour de vieille femme incommensurable.

Par la porte entr’ouverte, les deux femmes eussent pu se communiquer leur mutuel chagrin et, cependant, elles hésitaient à le faire, surtout qu’elles ne pouvaient que l’approfondir.

Enfin, Gertrude n’y tint plus :

— Où peut-il être, maintenant ?… Quand je pense, gémit-elle, que, samedi dernier, il était encore là, assis sur cette chaise, à m’éplucher mes poireaux, en me racontant ses histoires de la forêt de Bandang, il y a de quoi en mourir de chagrin. Pour sûr, il lui est arrivé un malheur !

Elle ne comprenait pas que Madeleine ne sortît point pour l’appeler comme elle faisait quand il tardait trop.

— Il fera ce qu’il voudra ! soupirait Madeleine. S’il est si longtemps dehors, c’est qu’il ne nous aime plus. Papa a raison : il est assez grand maintenant pour un homme. Il doit savoir ce qu’il lui reste à faire. Si la société de la forêt lui plaît davantage que la nôtre, tant pis pour lui ; ça ne sera jamais qu’un Balaoo de la forêt, et il faut renoncer, à son âge, à en faire quelqu’un de convenable homme.

— Mademoiselle se console bien facilement, repartait Gertrude, et je ne trouve pas ça naturel. On me cache quelque chose ici. On n’a plus confiance en moi. Si je gêne, il faut le dire.

— Tu parles comme une toquée de vieille bonne-