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BALAOO

des gens qui ne s’étaient jamais plu parmi les hommes qui ont des lois contre la chasse ; et, à la vérité, ils ne s’amusaient dans la bonne société, qu’au moment des élections qui est un temps de paradis sur la terre.

Ils dormaient, mais le docteur Honorat ne dormait pas.

Au pied du chêne où il était solidement attaché par la patte, il songeait encore, bien qu’il souffrît beaucoup de son petit doigt de la main gauche, à l’adresse avec laquelle avait été faite l’amputation. Cette admiration, tout intime, n’était point venue, comme l’on pense bien, immédiatement. Elle avait été précédée de la plus profonde horreur ; et il est entendu qu’il faut renoncer à décrire l’épouvante délirante avec laquelle cet excellent homme avait vu venir à lui l’opérateur, armé de son couteau.

Élie avait coupé ; Hubert, qui connaissait la vertu des herbes, avait soigné comme il convient et empouponné la phalange sanglante ; Siméon avait expliqué :

— Tu penses bien que, si nous voulions te faire du mal, nous ne te couperions pas un doigt. Suis bien mon raisonnement ; tu représentes pour nous la chose la plus précieuse au monde : la vie ! Nous te rendrons à tes amis le jour où M. le Président de la République annoncera dans son journal officiel que notre peine de mort est commuée en ce qu’il voudra. Le bagne ! nous n’y sommes pas encore ! Mais on ne saurait prendre trop de précautions contre la guillotine. Eh bien ! mon vieux ! voilà : c’est pour encourager le Président de la République à nous laisser nos trois têtes sur nos épaules que nous te prenons un doigt. Quand il recevra ça par la poste, il comprendra que c’est sérieux et qu’il ne faut pas plaisanter avec les Trois Frères !