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BALAOO

Elle portait cette robe, qui n’était pas encore cousue, comme une chape, dont le morceau d’arrière faisait sur les talons une traîne immense, et elle avait passé ses bras frêles, nus et dorés, dans les trous des manches qui restaient à mettre. Sa tignasse, bleue aile de corbeau, glissait sur ses épaules et coulait en flots d’encre sur toute cette blancheur encore immaculée. La figure de Zoé était sérieuse, comme en cérémonie. Et ses yeux insultaient tous ceux qui étaient là.

Elle adressa tout de suite la parole à M. le Maire.

— Monsieur le Maire, dit-elle, avec assurance, de sa petite voix aigrelette et vinaigrée, je viens de la part de mes frères qui ont quelque chose à dire à M. le Président de la République. Ils veulent qu’on les gracie !

L’ambassadrice dit sa petite affaire tout d’une traite, et de façon à ce que tout le monde pût l’entendre. Et puis elle souffla, toussa un peu en se mettant les doigts devant sa bouche, comme un écolière qui essaie de se rappeler les termes exacts de sa leçon.

Une audace aussi tranquille laissait tout le monde désemparé. Elle continua :

— Si M. le Président de la République fait ça, on n’entendra plus jamais parler de mes frères, qui ne feront plus de mal à personne, et qui s’en iront du pays.

Une voix alors, méchante et menaçante, s’éleva. C’était M. Mathieu Delafosse qui recouvrait ses esprits :

— Et si on ne les gracie pas, tes frères, qu’est-ce qu’ils feront ?

Zoé toussa, rougit un peu, donna un coup de talon à la traîne de sa belle robe et dit :

— Si M. le Président de la République ne les gracie pas, ils tueront le docteur Honorat !