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BALAOO

— Dans leur maison du bord de la route ?

— Dans leur maison. Ils n’avaient même pas tiré les rideaux des fenêtres. Je passais sur la route, revenant de ma tournée, au petit trot de ma jument. J’aperçois une carriole devant la porte des Vautrin, et de la lumière aux fenêtres, et il me semble entendre des voix. J’ai comme le pressentiment que je vais assister à quelque chose d’inouï. Je ne m’étais pas trompé. Je passais juste en face de la porte quand la porte s’est ouverte, et j’ai vu, comme je vous vois, Élie, Siméon, Hubert, qui transportaient tranquillement dans la carriole une caisse. Aussitôt, je donne un grand coup de fouet à ma jument qui détale. Mais ils m’avaient vu et reconnu ! Ils m’ont crié : « À bientôt, docteur ». J’ai cru que j’allais devenir fou !… Ah ! je les croyais derrière moi, nous avons filé un train d’enfer ! J’étais perdu si je n’arrivais pas à Saint-Martin avant eux ! Car ils vont venir !… Ils vont venir !…

— Taisez-vous donc, docteur, interrompit M. le Maire, de sa voix la plus grave. Si ce sont eux, c’est qu’ils se sont sauvés de la prison, et ils n’oseront jamais venir jusqu’ici !

— Je vous dis qu’ils vont venir. Ils me l’ont promis à la Cour d’Assises ! Je suis un homme mort !…

Disant cela, M. Honorat, un brave homme de docteur, qui, avant cette funeste rencontre, avait pris, peut-être, au cours de sa tournée une vieille bouteille de plus qu’il ne fallait (car, à l’ordinaire, c’était un bon vivant), le docteur Honorat, disons-nous, aperçut les deux figures de, cire de M. Sagnier et de M. Valentin, et il eut la satisfaction de se rappeler qu’eux aussi avaient été menacés en Cour d’Assises ; et cette satisfaction, il l’exprima :

— Et vous aussi, monsieur Sagnier !… et vous aussi,