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BALAOO

— Les Vautrin !… Les Vautrin !…

— Quoi ? Quoi ? les Vautrin ?…

— Les Vautrin sont ici !…

Tous poussèrent des cris. La peur souffla son vent de démence, soulevant les bras en gestes insensés, secouant l’assemblée qui tourna, tourbillonna ; on eût dit que soudain tous avaient perdu l’équilibre : Hein ?… Quoi ?… Où ?… Les Vautrin ?… Qu’est-ce qu’il a dit ?… Il est fou !… Où les avez-vous vus ?…

— Chez eux ! râla le docteur !… Chez eux !… Dans leur maison !…

— Il a rêvé !… Pour sûr ?… Il a rêvé !…

Le pharmacien et le notaire étaient maintenant aussi pâles que le docteur. Ils ne le croyaient pas. Ils ne pensaient pas qu’une chose pareille fût possible ; mais tout de même, dès qu’il eut seulement exprimé une telle abomination irréalisable, ils en restèrent comme abrutis, les bras et les jambes cassés, le gosier sec, le cœur en folie.

La terreur sans nom peinte sur leur visage sembla ragaillardir quelque peu M. le Maire qui, lui, faisant rapidement son examen de conscience, estimait qu’il avait su, dans toute cette affaire, conserver une attitude suffisamment prudente pour n’avoir rien à redouter de la vengeance des Trois Frères. Il montra ce sang-froid qui ne doit jamais abandonner le premier magistrat du pays devant ses administrés. Il fit taire les gémissements stupides des brodeuses et les questions mal coordonnées de ces dames.

— Voyons, docteur, dit-il, ne perdez pas ainsi la tête. Êtes-vous bien sûr de les avoir vus ?

— Comme je vous vois !