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BALAOO

— Ou hou ! Ou hou ! Des ombres sur la route, brinqueballant des lanternes : c’est M. Roubion et ses domestiques qui passent, appelant les brodeuses pour la veillée de la robe de l’Impératrice de Russie.

Des petites portes s’entr’ouvrent davantage ; les petits bonnets blancs se risquent, le cabas à un bras, la coffiette (la chaufferette) pendue à l’autre. Ah ! elles n’auraient garde, par ce temps sec, d’oublier leurs coffiettes qui leur brûlent si bien la peau des jambes depuis tant d’années et d’années que certaines, bien sûr, ne doivent plus avoir, sous leurs jupes, que deux tisons noircis.

— Ou hou !… Ou hou !… elles galochent, elles accourent, après avoir fermé à clef les portes. Ah ! c’est la dernière veillée de la robe de l’Impératrice de Russie ! Elles n’y manqueraient pas pour tout l’Empire des Tsars. Deux heures d’ouvrage et ce sera fini ; on dit que l’entrepreneur doit venir le lendemain à Saint-Martin pour prendre livraison. Du moins, la mère commère qui a traité avec l’entrepreneur (la mère Toussaint) l’a affirmé, peut-être pour stimuler leur zèle.

Le cortège va trottinant, galochant dans la rue Neuve. Des volets battent contre les murs sur son passage. Plus d’une voudrait être invitée à aller voir la robe de l’Impératrice et ne dort pas qui devrait être couchée.

Le grand Roubion presse le pas. Personne ne voudrait traîner la jambe. On galoche, on galoche. Il fait froid, elles ont rabaissé la cape de la capuche sur le bonnet, et frissonnant des épaules, moins de froid que de peur quand même, à cause du souvenir des Trois Frères qui accourt dans toutes les ombres de la nuit.

Au coin de la ruelle du cimetière, il y a une lumière sous une porte. On passe vite. Là habite la mère Pâques