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et le monde m’ennuya aussi ; je m’amourachai de quelques beautés mondaines et fus aimé ; mais dans ces amours mon imagination et mon amour-propre seuls furent en jeu ; le cœur resta vide. Je me mis à lire, à m’instruire, tout cela me parut également ennuyeux ; je voyais que ni la gloire ni le bonheur ne dépendaient de ce travail, parce que les hommes les plus heureux sont souvent les plus ignorants, et quant à la gloire elle n’appartient qu’au succès. Or, pour l’obtenir, il faut être bien habile. Bientôt après on m’envoya au Caucase : C’est le temps le plus heureux de ma vie. J’espérais que l’ennui ne vivrait pas sous les balles circassiennes : vainement ! Au bout d’un mois j’étais tellement habitué à leur sifflement et au voisinage de la mort, que vraiment je ne m’en occupais pas plus que des moucherons, et je m’ennuyai plus qu’auparavant, parce que j’avais, pour ainsi dire, presque perdu ma dernière espérance… Lorsque je vis Béla, lorsque, pour la première fois, la tenant sur mes genoux, je baisai ses cheveux noirs, imbécile que j’étais ! je la pris pour un ange que le sort compatissant m’envoyait ; je me trompai