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Elle commençait à maigrir sensiblement ; sa petite figure s’allongeait, et ses grands yeux s’éteignaient. Nous lui disions :

— Tu soupires, Béla, tu es triste ?

— Non !

— Tu t’affliges en pensant à ta famille ?

— Je n’ai plus de parents !

— Désires-tu quelque chose ?

— Non ! »

C’était comme ça toute la journée ; excepté oui et non, on ne pouvait rien tirer d’elle.

Je résolus donc de parler de cela à Petchorin.

— Écoutez, Maxime, me répondit-il ; j’ai un mauvais caractère ; est-ce l’éducation qui m’a fait tel ou Dieu qui m’a créé ainsi ? je l’ignore ; je sais seulement que si je fais le malheur des autres, je ne suis pas plus heureux pour cela. C’est là une triste consolation, sans doute ! Mais la vérité c’est qu’il en est ainsi ! Dès ma première jeunesse, au moment où je sortis de la tutelle de mes parents, je me pressai de jouir avec fureur de tous les plaisirs que l’on peut se procurer avec de l’argent ; bientôt ces plaisirs me fatiguèrent. J’allai alors dans le grand monde ;