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avec elle ; entre autres choses, il apprit le tartare, et elle commença à comprendre notre langue. Peu à peu il l’habitua à le regarder ; elle le fit d’abord en-dessous et de côté ; puis, toute chagrine., elle chantait ses chansons à demi-voix, si bien que j’en devenais triste lorsque je l’entendais de la chambre voisine. Je n’oublierai jamais une scène dont je fus le témoin. En passant un jour près de la fenêtre, je jetai les yeux dans la chambre. Béla était couchée sur la léjanka[1], la tête penchée sur son sein, et Petchorin était debout devant elle :

« Écoute, ma Péri, disait-il ; sans doute tu sais que tôt ou tard tu dois m’appartenir ; eh bien ! pourquoi me fais-tu souffrir ? Est-ce que tu aimes quelque Circassien ? S’il en est ainsi, à l’instant même je te laisserai retourner à ta maison (elle frissonna légèrement, et nia par un mouvement de tête) ; ou bien, continua-t-il, te suis-je complètement odieux ? (elle soupira) ou bien ta croyance te défend-elle de m’aimer ? (elle pâlit et resta silencieuse). Crois-moi ! il

  1. La léjanka est le dessus des grands poêles russes sur lequel on place un lit de repos.