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les montagnes ; donne-moi ton cheval et je ferai tout ce que tu voudras. Je déroberai pour toi à mon père sa meilleure carabine, son meilleur cimeterre, ce que tu voudras, et son sabre est un véritable Damas ; il coupe la peau rien qu’en l’approchant de la main, et une cotte de mailles comme la tienne ne serait rien pour lui.

Kazbitch se taisait.

— La première fois que je vis ton cheval, continua Azamat, il s’agitait sous toi, bondissait, soufflait avec ses naseaux et faisait jaillir une pluie d’étincelles sous ses sabots. Dans mon âme, j’éprouvai quelque chose d’inexplicable et depuis lors tout me parut ennuyeux ; je regardais les meilleurs chevaux de mon père avec dédain ; j’avais honte de parler d’eux et l’ennui s’empara de moi ; plein de cet ennui, je restais assis des jours entiers sur les rochers, ton coursier à la tête noire occupait sans cesse ma pensée, avec sa démarche étrange et sa croupe lisse et droite comme une flèche. Il semblait me regarder dans les yeux avec son regard ardent, comme s’il eût voulu me parler. Je mourrai, Kazbitch, si tu ne me le donnes pas, dit Azamat d’une voix émue.