Page:Lermontov - Un héros de notre temps, Stock, 1904.djvu/184

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec les dames Ligowska et courtiserais la jeune fille pour détourner d’elle l’attention. Mes plans ne seront pas dérangés de cette manière et j’en suis tout gai.

Tout gai !… oui, j’ai déjà dépassé cette période de la vie, où l’on a le bonheur et où le cœur sent le besoin d’aimer avec force et passion, n’importe qui ; maintenant je ne désire plus que d’être aimé et par un très petit nombre ; aussi, il me semble qu’un seul attachement auquel je serais fidèle, serait tout ce qu’il me faudrait ; pitoyable disposition du cœur !…

Une chose surtout me paraît étrange : je n’ai jamais pu me rendre l’esclave d’une femme aimée ; au contraire, j’ai toujours dominé leur volonté et leur cœur avec une puissance irrésistible et cela sans faire aucun effort. Pourquoi cela ? Est-ce parce que je ne les exalte jamais à leurs yeux, et qu’à tout moment elles craignent de me voir m’échapper de leurs mains ? ou bien est-ce l’influence magnétique d’une forte organisation ? ou tout simplement ne m’a-t-il pas été donné jusqu’à présent de rencontrer des femmes au caractère impérieux ? Il faut avouer que je