Page:Lermontov - Un héros de notre temps, Stock, 1904.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dre derrière moi ; je tressaillis et me retournai. C’était elle, mon ondine ! Elle s’assit devant moi doucement et en silence, et dirigea sur moi ses yeux profonds. Je ne sais pourquoi ce regard me parut admirablement tendre. Il me rappela un de ces regards qui, dans les années passées, m’avaient absolument poussé à jouer ma vie. Elle semblait attendre une question, mais je me taisais, plein d’un trouble inexprimable. Son visage était couvert d’une sombre pâleur, signe de l’agitation de son âme ; sa main errait sans but sur la table, et je remarquai qu’elle tremblait légèrement ; son sein se gonflait et elle paraissait retenir sa respiration. Cette scène commençait à m’agacer et je m’apprêtais à rompre le silence d’une façon banale en lui présentant une tasse de thé, lorsque soudain elle s’élança, entoura mon cou de ses bras et déposa sur mes lèvres un baiser humide et brûlant. Un nuage passa sur mes yeux, ma tête s’enflamma et je la serrai dans mes bras avec toute la force et la passion de la jeunesse ; mais elle glissa comme une couleuvre entre mes bras et me dit à l’oreille :

« Cette nuit, quand tout dormira, viens sur le rivage ! »