Page:Lermont - Les cinq nièces de l'oncle Barbe-Bleue, 1892.pdf/9

Cette page a été validée par deux contributeurs.
7
L’ONCLE

crétion, n’avaient jamais renseigné personne sur ce qui se passait à Rochebrune. Tout ceci avait un air de mystère qui intriguait énormément la petite ville. On s’y livrait à force commentaires sur cet énigmatique M. Maranday. N’était son nom très français, on l’eût facilement pris pour un étranger, avec son teint bronzé, ses longs cheveux rejetés en arrière et sa barbe drue, largement ondulée, à reflets bleuâtres.

Que de suppositions sur son origine, son train de vie pour le moins bizarre et son caractère, qui passait pour très violent. Pierre, le braconnier, en savait quelque chose. Le maître du château l’ayant surpris en train d’escalader le mur du parc, tout élevé qu’il fût, l’avait menacé de son revolver ; Pierre avait dû dégringoler au plus vite pour n’être pas atteint. Avis aux maraudeurs ou aux curieux. Il n’eût pas fait bon s’exposer deux fois au courroux d’un irascible propriétaire qui ne se séparait jamais de ses armes ! À vrai dire, M. Maranday avait tiré en l’air, mais sa réputation n’en était pas moins bien établie. Il y avait gagné de vivre en paix dans sa solitude, loin des regards indiscrets.

Au milieu de tous ces racontars, deux choses étaient indiscutables, son originalité et sa grande fortune ; la seconde faisait pardonner la première. N’avait-il pas à plusieurs reprises envoyé aux pauvres de la commune son offrande en beaux billets bleus ? Le château, payé de même, avait eu sans doute son ameublement renouvelé de fond en comble, car on n’y avait pas vu entrer moins de dix wagons de déménagement, sans compter les innombrables colis expédiés par le chemin de fer. Aussi, eût-on volontiers surnommé M. Maranday le Nabab.

Qui était-il ? d’où venait-il ? et d’où provenait cette fortune