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INCOMPRISE

elle eût trouvé autour d’elle mille sujets de bonheur et de plaisirs. Comme elle était loin d’être sotte, elle finit par se créer des distractions : avec des livres, de la musique, un bon piano, un grand jardin, on ne peut pas s’ennuyer longtemps. Et puis, on se lasse de pleurer sur soi-même. Il arriva donc qu’au bout d’une quinzaine de jours, et alors même que la dose de sagesse de ses cousines était bien près d’être épuisée, Valentine, faisant un retour sur le passé, n’était pas loin de s’apercevoir qu’une partie de ses peines n’existait que dans son imagination. Il lui restait à se faire connaître sous son véritable jour, et ce devait être long, grâce aux malentendus de toutes sortes qui s’étaient produits depuis le départ de Paris. La fillette devait apprendre à ses dépens qu’il peut entrer de l’égoïsme dans les plus grands chagrins, et que les tristesses les plus légitimes éloignent, de nous nos meilleurs amis, si elles nous rendent trop concentrés, trop susceptibles, en un mot, trop personnels. Pour être aimé, il ne suffit pas d’être animé des meilleures intentions, il ne suffit même pas, comme le croyait Valentine « d’être bonne et de ne vouloir de mal à personne », pour être aimé, il faut être aimable.

L’apparence n’est certainement pas tout, mais comme nous ne possédons pas de lunettes qui nous permettent de lire du premier coup dans le cœur de nos voisins, l’apparence exerce, vous le savez, une grande influence sur nos jugements. Il s’en suit que l’on a quelque tendance à croire les gens un peu moins bons qu’ils ne paraissent, car il nous vient rarement à l’idée que bien des natures soient un peu comme les châtaignes très douces à l’intérieur, très déplaisantes à l’extérieur. Contrairement à ses cousines qui s’efforçaient de cacher leurs