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sibles pour ceux qui n’y étaient point initiés, féroces pour celle qui les recevait, surtout étant donnée sa nature de sensitive qu’un rien froissait.

Comme il n’arrive que trop souvent en pareil cas, Valentine s’était repliée sur elle-même, et, sourde aux avances de la bonne Mlle Favières, elle finit par englober dans la même aversion ses amis et ses ennemis, M. Maranday qu’elle craignait et Mlle Favières qu’elle croyait mal disposée pour elle.

Habituée à être le centre de tant d’affections, la petite femme, remplaçante de sa maman, indispensable partout, à la cuisine comme à l’atelier, où son père la faisait souvent poser, car lui ne dédaignait pas ses superbes cheveux rutilants, elle se sentait tout à fait dépaysée dans ce nouveau milieu. Son oisiveté lui pesait. Pour un peu, elle fût allée proposer à la cuisinière de l’aider au moins à mettre le couvert, ou à la femme de chambre de lui permettre d’arranger des fleurs dans des vases. Elle, tour à tour grande sœur avec ses petits frères, et tout à fait maternelle dans ce rôle, ou enfant, plus que son âge, avec ses grands frères à qui elle obéissait sans un murmure, elle se trouvait toute esseulée parmi ces fillettes qui la tourmentaient sans pitié. « Pourquoi Charlotte et Élisabeth parlaient-elles toujours des taquineries des garçons, pensait-elle tristement, les filles sont bien plus taquines. » Qu’importait aux « quatre frères Aymon » une robe plus ou moins neuve, un chapeau plus ou moins élégant ? Pour être simplement vêtue, on n’en jouait pas moins bien, au contraire.

Lorsque, en écrivant à sa mère, Valentine avait dit : « J’ai tout ce qu’il me faut, je n’ai besoin de rien » elle n’avait pas dit toute la vérité. Une égoïste aurait renouvelé au plus vite sa petite toilette, non pas seulement pour échapper aux mo-