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L’ONCLE BARBE-BLEUE

— Dis-donc, toi, répondit Me Chatelard en lui tirant les oreilles, crois-tu qu’on devient riche à bayer aux corneilles ? Il y a gros à parier que M. Maranday a dix fois plus travaillé dans sa jeunesse que vous ne le ferez, vous autres, dans toute votre vie.

L’enfant, tout confus, baissa la tête :

— J’savais pas qu’vous étiez-là, M. Chatelart…

— Les paresseux ne deviennent jamais riches, mon garçon, sache cela pour ta gouverne. Ce qui n’est pas juste, c’est de vouloir une fortune toute faite ; gagne-la par ton travail.

— N’empêche que si j’étais le neveu de M. Maranday j’hériterais de ses millions sans avoir eu la peine de les gagner !

— Tu crois cela mon ami ? eh bien, je ne t’engagerais pas à t’y fier. Tel que je le connais, je crois qu’il choisira ses héritiers à bon escient, et avec ta paresse et ta négligence tu n’aurais pas grand chance d’être élu. Vois, tu n’es pas même capable de me copier un rôle. Fais attention, si tu ne veux pas que je te renvoie à ta famille.

Le notaire s’enferma de nouveau dans son cabinet pour écrire de sa plus belle écriture la série de lettres qu’il s’était chargé d’envoyer aux parents de M. Maranday, mais cette fois, personne ne broncha dans l’étude, chacun convenant tout bas que ses réprimandes étaient bien méritées.

Pendant qu’il exécutait consciencieusement les quatre copies qu’il ne pouvait songer à confier à ses clercs, il eut tout le temps de réfléchir à son énigmatique client.

« Jamais je n’ai vu pareil original » se dit-il sous forme de conclusion. « Si M. Maranday voulait renouveler connaissance avec des parents perdus de vue depuis longtemps, c’était bien simple d’écrire lui-même à ses deux cousins et à ses deux