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L’ONCLE BARBE-BLEUE

si frappante. Tant de bruit, tant de mouvement, tant d’inconnu en perspective l’épouvantaient, mais que n’eût-il pas fait pour l’amour de Valentine ! D’ailleurs, il avait, lui aussi, certains projets dont il ne disait rien à personne, mais dont il se promettait un vrai bonheur.

Luis était en train de mettre en pratique la devise de Valentine.

« S’oublier pour les autres. »

Et c’était incroyable combien, envisagée ainsi, la vie avait changé pour lui.

En partageant les promenades charitables que Valentine faisait le matin, escortée de Mlle Favières, avec la permission de M. Maranday, lequel, informé par son fils de l’emploi des cent francs donnés précédemment, avait regarni la bourse de la fillette au profit des pauvres de Damville, Luis n’était pas sans avoir appris bien des choses.

Les chaumières des villages environnants renfermaient des êtres tout aussi disgraciés que lui par la nature. Il fit bientôt connaissance avec une petite bossue, un petit aveugle, un estropié qui ne marchait qu’avec des béquilles, un paralytique qu’on ne sortait jamais de son misérable lit. Ceux-là n’avaient pas auprès d’eux un père pour les aduler, une société de cousines pour les distraire, de nombreux domestiques pour les soigner, ni les mille conforts que donne la fortune et grâce auxquels la souffrance devient plus supportable. Leurs parents, de pauvres paysans, les aimaient à leur manière, mais occupés du matin au soir des travaux des champs qui les faisaient vivre, ils négligeaient forcément les malheureux infirmes.

« Que je les plains, l’aveugle surtout ! s’était écrié Luis