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L’ONCLE

jamais être mêlés aux questions d’argent. Annoncez-leur deux mois de vacances chez un vieil oncle à manies, et rien de plus. Je n’ai pas besoin d’ajouter que je saurai récompenser comme il le convient votre dévouement.

Là-dessus, cet oncle étrange prit sa cravache et son chapeau et se disposa à partir. Arrivé à la porte, il se retourna, et de ce ton à la fois ironique et hautain qui lui était familier :

« Vous trouverez dans les papiers que je vous ai remis la liste de quelques-uns de mes amis dont les noms seuls seraient une garantie, en admettant que mes parents élèvent des objections sérieuses contre moi, mais je vous serai obligé, mon cher monsieur, de n’en user que si vous le jugiez indispensable, et non pour satisfaire une vaine curiosité. »

Le notaire se répandit en protestations, mais M. Maranday l’interrompit au beau milieu d’une phrase très embrouillée :

« Duke s’impatiente, » dit-il.

Traversant rapidement l’étude devenue silencieuse, il donna sans compter quelques pièces blanches au domestique qui tenait son cheval, se mit en selle avec une aisance inconnue à Damville, et partit à fond de train dans la direction de Rochebrune.

Quoique aucun des jeunes clercs n’eût jamais goûté aux délices de l’équitation, il n’y en eut pas un qui ne regardât s’éloigner avec envie ce cavalier brillant et ne s’extasiât sur la beauté de Duke, un magnifique alezan doré.

Le petit clerc exprima ainsi la pensée générale :

« A-t-il de la chance, ce particulier-là, rien ne lui manque !… Il a peut-être des millions plein sa caisse. Pourquoi que le ciel n’a pas gratifié mon papa d’une partie de sa fortune au lieu de tout accumuler dans les mêmes mains ? C’est pas juste, vrai, c’est pas juste. »