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LA CONQUÊTE DE LUIS

lerie amère. Puis, dans un effrayant accès de mélancolie, il s’était calfeutré dans sa chambre sans plus vouloir en sortir.

C’est alors que M. Maranday s’était décidé, selon l’avis du médecin, à recourir à des auxiliaires inconscients, pour ramener l’enfant à une vie normale. Il ne pouvait appeler auprès de lui des neveux bien portants, dont la vue eût renouvelé le désespoir et accru les jalousies de Luis, des garçons qui d’ailleurs, ou l’auraient vexé sans mauvaise intention, ou dans leurs jeux brutaux, lui auraient fait mal. Mais en amenant à Rochebrune cinq petites filles, toutes disposées à s’amuser, il ne doutait pas qu’avec le temps, son fils ne se laissât distraire par le spectacle de leur gaîté et ne demandât de lui-même à rompre avec sa solitude.

Il comptait sans l’obstination maladive et l’orgueil de Luis. Pendant les premières semaines du séjour des fillettes au château, le petit garçon s’était entêté plus que jamais à vivre dans une chambre obscure. Il en était résulté cette recrudescence de maladie, durant laquelle M. Maranday s’était montré si sombre et si préoccupé. D’un mieux très accentué datait le changement de l’oncle Barbe-Bleue en un Oncle-Gâteau, le jour du pique-nique.

Le jeune garçon s’était intéressé malgré lui à ce qui se passait sous ses yeux. De sa prison, il avait suivi ces allées et venues, s’était fait une opinion sur chacune de ses cousines, avait joui de les voir s’ébattre au jardin comme une nuée d’oiseaux jaseurs, en était arrivé même, nous l’avons vu, à prendre parti pour les unes ou pour les autres. Le petit billet de Valentine lui était allé au cœur, sa visite fît le reste, lorsque M. Maranday, confiant en l’abnégation de la petite fille, n’hésita pas à tenter l’essai que nous savons.