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L’ONCLE BARBE-BLEUE

qu’une fois le premier appareil enlevé, après quarante jours d’immobilité complète, et de supplice pour lui et tous ceux qui l’entouraient, on avait dû le soumettre à un traitement beaucoup plus long, et placer la pauvre jambe malade dans un appareil bien plus compliqué. Il fallut compter alors par mois et non par jours, et encore n’était-on pas sûr de la guérison finale. Pour sa part, Luis n’y comptait plus. C’était un désespoir de tous les instants.

« Jamais, jamais je ne serai comme tout le monde » répétait-il sans cesse.

On avait en vain essayé de l’intéresser aux jeux d’autres enfants, cela provoqua de telles explosions de chagrin qu’il fallut bientôt y renoncer.

M. Maranday se fit son esclave. Il ne vivait que pour son fils, et pour lui plaire, ne reculait devant rien, quelque bizarres, coûteux, incompréhensibles, que fussent les fantaisies de Luis. Lorsque l’enfant, prenant en grippe tout le genre humain, avait déclaré que, sauf sa fidèle Chiquita et son père, il ne voulait voir personne, M. Maranday avait ordonné, menacé, supplié… puis s’était soumis. Le pauvre enfant était si malheureux ! Il avait pourtant réussi à lui faire admettre un précepteur dans son intimité, puis, selon ses désirs, cherchant un endroit très différent de celui dans lequel l’enfant avait vécu jusque-là, et pensant que l’air des montagnes lui serait bon, il avait acheté ce château de Rochebrune dans lequel Luis pouvait vivre en liberté, loin des regards indiscrets, grâce aux précautions prises pour assurer sa solitude.

D’abord l’enfant avait paru se plaire dans sa nouvelle demeure ; il avait même fait quelques promenades en voiture, les stores baissés, car le moindre regard lui semblait une rail-