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LA CONQUÊTE DE LUIS

M. Maranday, heureux de voir enfin son fils sortir de son marasme, était transfiguré ; il se révélait plein d’entrain et de gaîté, c’était à ne pas le reconnaître. Les domestiques mêmes avaient perdu leurs figures mornes, et le château tout entier semblait avoir pris un air de fête.

Bientôt les fillettes apprirent toute la vérité, fort simple dans sa tristesse touchante.

Après de nombreux voyages, M. Maranday, ayant fait fortune, avait épousé une jeune créole, et s’était fixé au Mexique, où sa femme possédait d’immenses propriétés. Entre trois beaux enfants et une femme charmante, la vie n’avait pour lui que des bonheurs, lorsque, pendant une de ses absences, un tremblement de terre, fléau de ce pays enchanteur, ensevelit sous les ruines de sa « casa », sa femme et ses deux fils aînés. Ce fut pur hasard si le plus jeune lui resta. Luis avait insisté pour accompagner son père à Mexico, et ce caprice le sauva. M. Maranday, ne pouvant supporter davantage la vue d’une plantation qui lui rappelait cet épouvantable malheur, avait vendu en toute hâte ses propriétés, et s’était embarqué sur le premier paquebot en partance pour la France. Il ne savait encore où s’établir, mais il songeait à Paris à cause de Luis, qui était d’âge à faire ses études, fort négligées jusque-là, selon l’habitude créole.

Pendant la traversée, Luis, très turbulent, très colère, d’autant plus gâté qu’il était désormais le seul bien, l’unique consolation de M. Maranday, fort désobéissant d’ailleurs, ayant voulu, malgré la défense, grimper à un mât — les mousses le faisaient bien ! — était tombé si malheureusement, qu’il s’était déboîté la hanche et fracturé les deux jambes. Par fierté, il n’avait avoué que la moitié de son mal, si bien